Gilbert Coutaz, historien et archiviste suisse, salue deux ouvrages consacrés à Nannetti et Schulthess


Gilbert Coutaz, historien et archiviste suisse, salue deux ouvrages consacrés à Nannetti et Schulthess

Création d'Armand Schulthess dans son jardin (Auressio, Suisse). Photo: Ingeborg Lüscher

Written by Lucienne Peiry in Critique Le Carnet

28 juin 2022

« Utiles ou futiles ? Des archives qui interrogent Les archives sont créées et conservées en vue de leur utilité, d’abord réduite à leur intérêt juridique, ensuite combinée à leur valeur patrimoniale. Depuis le XXe siècle, l’espace des archives ne cesse de revendiquer de nouvelles interventions conservatoires, non sans établir des hiérarchies typologiques.  Lucienne Peiry, grande spécialiste de l’art brut, a récemment publié aux Editions Allia, à Paris, deux opuscules : Le jardin de la mémoire, et Le Livre de pierre. Servie par une plume élégante et un art du portrait consommé, elle retrace deux parcours individuels étonnants dont l’écriture et l’énergie sisyphienne ont permis leur survie. Armand Schulthess (1901-1972) a quitté, en 1951, son emploi au Département fédéral de l’économie pour se réfugier à Auressio près de Locarno, au milieu d’une châtaigneraie qu’il a acquise quelques années auparavant. Jusqu’à sa mort, il aménage un «labyrinthe poétique», accrochant aux arbres des textes inspirés de la documentation et de la bibliothèque qu’il a accumulées durant la période de préméditation de son acte. Il les reproduit sur des couvercles ou des fonds de boîte de conserve. Il englobe tous les savoirs qu’il scénarise et interprète. Il mélange les langues, les supports et les formulations. Il privilégie ses contacts avec son environnement et le cosmos, imaginant l’accueil d’une femme, sans le concrétiser. A sa mort, ses affaires sont brûlées. Seuls de rares visiteurs ont pu l’approcher; ils ont laissé des témoignages écrits et photographiques sur lui.  A l’âge de vingt-sept ans , Fernando Oreste Nannetti (1927-1994) a été diagnostiqué schizophrène. En 1958, il est condamné à la réclusion dans l’hôpital psychiatrique et judiciaire de Volterra, en Toscane, où il ne recevra aucune visite jusqu’à son décès. Durant neuf ans, il grave une œuvre qui se déploie sur 70 mètres de la façade du bâtiment qui l’emprisonne, à l’aide de l’ardillon de son gilet. Cette pierre exprime sa liberté créatrice et son aire d’évasion. Il s’invente une nouvelle identité à travers l’alphabet qu’il conçoit crypté. Si le site a été abandonné depuis, la démarche de l’ancien pensionnaire subsiste grâce au reportage du photographe Pier Nello Manoni qui a découvert, en 1979, la fresque à ciel ouvert. Les archives sont toujours l’affaire d’une rencontre. A un moment où de nouveaux défis de la conservation surgissent sous forme d’oxymores: «Pérenniser l’éphémère», «Archiver le temps présent», force est de constater à travers ces deux exemples que l’évaluation ne peut pas s’arrêter à la seule production. A mon avis, une partie de la réponse tient dans l’approche postmoderniste formalisée par des archivistes canadiens de considérer les archives aussi depuis leur exploitation, à comprendre non plus comme une fonction, mais comme un élément constitutif des archives. »

Ecrit par Gilbert Coutaz, publié sur Linkedin, 27 juin 2022.


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