L’Art Brut pour les enfants


L’Art Brut pour les enfants

Couverture du livre "Bonhomme d'art brut", Lucienne Peiry

Written by Lucienne Peiry in Presse

29 mars 2020

« L’ouvrage de Lucienne Peiry réunit des créations du monde entier apparentées à l’Art Brut autour de la représentation de la figure humaine. Cette thématique témoigne de la sensibilité anthropologique de l’ancienne directrice de la Collection de l’Art Brut (2001-2011), confirmée dans les expositions qu’elle a organisées menées ces dernières années, situant l’Art Brut aux confins de l’art populaire et de l’art religieux. A la vision successive dans le livre de ces figures anthropomorphes, leur résonnance est immédiate, tant les œuvres présentées nous ressemblent et à la fois diffèrent de nous. Elles se dotent d’une valeur spécifique lorsqu’on les confronte à leurs auteurs, à l’identité psychologique souvent chahutée. Ainsi l’œuvre de Giovanni Bosco, réalisée en grande partie sur des cartons à pizza récupérés çà et là, a-t-elle cette capacité à mobiliser le regard en raison de l’autonomisation des parties du corps humain, saturé d’inscriptions et présenté de face, à la façon d’un puzzle figé et recomposé.

G. Bosco dans Bonhommes d’Art Brut de Lucienne Peiry, Thierry Magnier, 2015.

Tout dans le livre, de forme presque carrée et aux angles arrondis, est pensé pour capter la curiosité des jeunes lecteurs. Sur la gauche et la droite de chaque double page, le texte et l’image sont répartis symétriquement. L’itération de cette disposition participe de l’éveil visuel de l’intérêt et de l’accessibilité aisée de l’ouvrage, « destiné aux plus petits » ainsi que l’indique la quatrième de couverture. La taille de la police de caractères, l’épaisseur des pages cartonnées et les dimensions généreuses des pages de l’album (20X24cm) finissent de rassurer tout apprenti lecteur.

Ce qui fait une des spécificités de l’ouvrage, c’est notamment la proposition de commentaires sur la vie et l’œuvre des auteurs systématiquement traduits en anglais. L’édition bilingue d’un livre destiné à la jeunesse est à saluer à l’heure de l’enseignement des langues en contact. La désignation Bonhommes, présente dans le titre, aurait toutefois pu être traduite en anglais par un terme plus proche du registre enfantin : Figures n’est pas doté d’une résonnance aussi avenante, ce qui neutralise en partie l’adresse spécifique aux enfants et risque de manquer son public.

Chaque texte a le mérite d’être entamé par un énoncé interrogatif, par exemple pour Bosco : « Can you find in the drawing the italian words ? Testa, naso, pane, dolce ». L’entrée en contact avec l’œuvre à travers le prisme d’une question qui fonctionne comme levier d’une clé de lecture constitue une excellente façon de doter le jeune lecteur de moyens pour apprécier et analyser une image, notamment une peinture artistique. Le souci de configurer une position explicite à son lecteur est intéressant du point de vue didactique puisque l’enfant se trouve investi d’un rôle de lecture qu’il aura le souci et l’envie de respecter, de poursuivre voire de renouveler. Au travail de repérage des quatre mots mentionnés supra pour l’œuvre de Bosco peut ainsi facilement succéder celui d’identification d’autres termes et de recherche de leur traduction, par exemple. Des activités autour du schéma corporel pourrait par ailleurs constituer le point de départ en classe d’un travail sur le portrait ou l’autoportrait. Sans accompagnement textuel, qui peut ici prendre les allures d’un défi, il y a fort à parier que les images, une fois le temps de leur découverte passé, restent hermétiques ou du moins soient restreintes à une saisie exclusivement appréciative, établie selon des critères implicites de jugement. »

Par Vincent Capt, chargé d’enseignement à la HEP Vaud.
Chronique publiée le 31 mai 2017


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