Written by Lucienne Peiry in Presse
24 juin 2020
Écrit dans un style lucide et engageant par Lucienne Peiry, historienne et organisatrice d’expositions renommée dans le domaine de l’art brut, Le Livre de Pierre amène ses lecteurs à la fois dans le monde isolé dans lequel Nannetti a produit ses graffitis mystérieux et profondément dans le processus de création qu’il a employé pour réaliser ses dessins-écrits sur les parois extérieures d’une l’hôpital psychiatrique en Toscane où il a passé la majeure partie de sa vie.
Ancienne directrice de la Collection de l’Art Brut, à Lausanne, Suisse, Peiry a organisé une exposition consacrée à l’oeuvre de Nannetti pour ce musée renommé en 2011. Son texte dans ce petit livre repose en partie sur les recherches qu’elle avait faites pour cette exposition antérieure mais il nous invite de nouveau à découvrir l’oeuvre d’un créateur qui est unique dans l’histoire de l’art brut.
Fernando Oreste Nannetti est né à Rome en 1927; son père reste inconnu. Pendant son enfance il habite dans une institution de charité et il est envoyé à une institution psychiatrique pour les jeunes. Plus tard, il souffre d’une maladie spinale pour laquelle il reçoit un traitement médical, et enfin, pour une certaine période, il vit seul. Mais en 1956, à l’âge de vingt-neuf ans, après avoir été diagnostiqué schizophrène et après avoir eu des hallucinations et connu des délires de persécution, il est arrêté pour outrage à agent de la fonction publique et il est interné a l’hôpital psychiatrique Santa Maria della Pietà à Rome. En 1958, il est transféré a l’hôpital psychiatrique de Volterra en Toscane.
C’est là, Peiry nous explique, où Nannetti, « taciturne » et « solitaire » , se retire du chaos autour de lui, d’un « climat étouffant de bagarres, de brouhahas, de délires et de hurlements » . Provoqué par les autres patients de l’institution, et en utilisant uniquement la double pointe métallique de son gilet attribué par l’hôpital, il commence à inciser des lignes de texte mystérieuses en lettres stylisées et angulaires sur les murs de la cour du bâtiment dans laquelle les résidents de l’institution prennent leur pause quotidienne.
Peiry observe que ces surfaces transformées « avec ingéniosité » par Nannetti « se couvrent de déclarations biographiques, auto-fictives, télépathiques voire pseudo-scientifiques ou cosmogoniques » . Elle note que les murs extérieurs de l’hôpital deviennent « l’écran sensible des projections poétiques de l’auteur » et que, dans la main de Nannetti, un simple ardillon se transforme « en un instrument de liberté et devient sa clé des champs » .
Le texte de ce nouveau livre est accompagné par les photos prises par Pier Nello Manoni en 1979 des dessins que Nannetti avait faits sur les murs avant leur disparition au fil du temps. L’hôpital psychiatrique à Volterra a été fermé depuis longtemps. Le Livre de Pierre reproduit aussi, pour la première fois, des photos d’une sélection des dessins abstraits que Nannetti a réalisés en encre de stylo à bille sur papier. Dans leurs compositions denses on trouve des affinités avec celles d’autres créateurs bruts et avec les oeuvres de certains artistes modernes caracterisées par des vocabulaires formels (de lignes et de motifs) limités.
Le Livre de Pierre nous offre plus qu’une introduction à la vie et à l’oeuvre d’un créateur exceptionnel de l’art brut. Il capture aussi, d’une manière saisissante, son esprit créatif. »
Edward M. Gómez