Le peintre suisse Louis Soutter (1871-1942) décide de supprimer tout intermédiaire entre lui-même et son œuvre, entre son propre corps et celui de ses figures dans la dernière période de sa production. Il peint aux doigts, souvent au sol. Le rapport physique à la matière et au support se fait tangible, direct, l’engagement corporel atteint son paroxysme. Les concentrations de silhouettes immobiles des deux phases précédentes font place à des êtres plus indépendants mais tout aussi fragiles, pareils à des ombres. Les corps sont étirés, épuisés, crucifiés. D’autres fois, le mouvement s’avive et s’affole, à tel point que les personnages semblent emportés dans la tourmente. Leur présence physique est vibrante, intensifiée par l’opposition du noir et de blanc. Les figures, mobiles et parfois même gesticulantes, semblent former une danse macabre ou un cortège funèbre d’une puissance étourdissante.
Extrait de l’article « Peindre l’utopie », paru dans la catalogue d’exposition Louis Soutter, Ostildern-Ruilt, Ed. Hatje Cantz, 2002.
A noter: la publication récente du roman de Michel Layaz, Louis Soutter, probablement (Genève, Zoé, 2016).