Written by Lucienne Peiry in Le Carnet
21 juin 2014
Invitée régulièrement à Paris par Lise Maurer, psychiatre et psychanalyste, afin de participer à ses séminaires, Lucienne Peiry y donnera, dans ce cadre, une conférence sur l’œuvre de Josef Hofer, auteur autrichien d’Art Brut. Celle-ci aura lieu samedi 28 juin à 14h dans les locaux de l’Institut Protestant de Théologie (Salle 1).
Né en 1945, Josef Hofer, à la fois sourd et muet, n’a jamais tissé de liens sociaux. Son œuvre, dans sa majorité, est souvent axée sur le corps et la sexualité.
Introduction au séminaire par Lucienne Peiry :
» Je garde précisément en mémoire le jour où Elisabeth Telsnig, historienne de l’art qui s’occupe de Josef Hofer et de sa production, est arrivée à la Collection de l’Art Brut, à Lausanne, en 2003, pour ouvrir devant moi un grand cartable renfermant une centaine de dessins de l’auteur d’Art Brut autrichien. Je me souviens du saisissement que j’ai ressenti à ce moment-là et du trouble qui m’a traversée. L’impact était d’ordre visuel, mais aussi physique.
Sous mes yeux, véhicules, vêtements, mobilier, accessoires arpentaient la feuille, à la manière d’inventaires, surgissant dans des tracés abrupts et véhéments. Leur organisation et les multiples points de vue que leur auteur avait adoptés forçaient mon œil à se déplacer de manière agitée sur la feuille, passant d’un motif iconographique à un autre. Mais plus que tout autre, le corps masculin nu m’est apparu immédiatement comme le sujet central de l’œuvre graphique de Josef Hofer, dans lequel il atteignait une véritable sauvagerie, au sens le plus pur du terme. Il en a fait, dans la décennie qui a suivi, son thème de prédilection si ce n’est d’obsession, thème qu’il a exploré avec une intelligence intuitive et proprioceptive inouïes – grâce à l’acquisition d’un miroir, qu’il a choisi de placer à côté de son lit. Cet objet a bouleversé son existence. Hofer, dans le huis-clos de sa chambre, s’est dès lors livré, chaque nuit, à des expériences corporelles et sensorielles fiévreuses, posant nu devant la glace magique qui lui renvoyait son image, dont il donnait une version symbolique, le jour, dans ses dessins.
Inculte et illettré, retranché du monde, étranger à la création artistique homologuée, ignorant tout du dessin et de la mise en scène, Josef Hofer a trouvé intérieurement des capacités créatrices archaïques. Ses lourds dysfonctionnements mentaux et physiques lui ont paradoxalement ouvert de nouveaux territoires d’exploration, favorisant l’émergence d’une créativité particulièrement explosive. Ainsi que le remarque le célèbre neurologue new-yorkais Oliver Sacks : « Les perturbations du comportement ou les maladies peuvent être tenues également pour créatrices – car tout en détruisant des voies ou procédures particulières, il arrive simultanément qu’elles contraignent le système nerveux à une croissance et une évolution inattendues en le forçant à s’engager dans d’autres pistes et chemins. »
Lucienne Peiry