Written by Lucienne Peiry in Le Carnet
6 novembre 2012
Conscients qu’il leur fallait rompre avec les modèles traditionnels académiques, les artistes s’ouvrirent à de nouvelles formes d’expression dès la fin du XIXe siècle. Certains virent dans l’art populaire, mais aussi dans les dessins d’enfants, dans «l’art des fous», l’automatisme ou les graffitis, les moyens de régénérer un art devenu obsolète. Jean Dubuffet était de ceux-là. Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, Dubuffet se mit à étudier les travaux réalisés par les pensionnaires d’hôpitaux psychiatriques et les marginaux de toutes sortes – autodidactes, prisonniers, inadaptés divers – dont il admirait la créativité spontanée, libérée du carcan de ce qu’il appelait «l’asphyxiante culture». Les œuvres d’Art Brut sont imprégnées d’une force d’indépendance et d’originalité, relativement «dépourvues» des influences issues de l’art dit culturel ou traditionnel. Elles relèvent d’un système d’expression réellement élaboré et témoignent d’une syntaxe plastique personnelle et désintéressée de la création et d’une puissante créativité rebelle aux carcans normatifs. Les auteurs d’Art Brut transgressent les frontières entre les disciplines artistiques et leurs créations y sont clairement irréductibles.
Les productions d’Art Brut demeurent comme des adresses suspendues: leur art fait vibrer un questionnement irrésolu. Ce sont réellement des œuvres «ouvertes» au sens où l’entend Umberto Eco, c’est-à-dire qu’elles offrent des perceptions plurielles et sollicitent l’intérêt de chacun. C’est à cette réflexion au-delà des disciplines et des canons arbitraires de la production d’œuvres et de connaissances que nous invite Lucienne Peiry dans cette conférence, entre emprunt, détournement, bricolage et radicale inventivité. Une invitation au dialogue entre art et science autour de l’interdisciplinarité.