Le costume de Moya Hernàndez sous les feux des projecteurs


Le costume de Moya Hernàndez sous les feux des projecteurs

Ramón Moya Hernàndez, ensemble vestimentaire, Centre Pompidou. Photo: César Decharme.

Written by Lucienne Peiry in Le Carnet

9 mars 2024

Lucienne Peiry se penche sur différentes parures d’Art Brut dans son texte qui paraît dans le nouveau Cahier du Musée national d’art moderne. Elle étudie en particulier l’impressionnant ensemble vestimentaire du cubain R. Moya Hernàndez.

Dans ce Cahier du Mnam, dix textes mettent en lumière des œuvres d’Art Brut de la donation Bruno Decharme au Centre Pompidou ainsi que d’autres créations déviantes. Les auteur.es se penchent également sur des œuvres d’Art Brut en Europe et dans le monde.

L. Peiry est aux côtés de Barbara Safarova, Sophie Duplaix, Céline Gazzoletti, Aurélie Verdier, Savine Faupin, Valérie Rousseau, Diane Toubert, Bruno Decharme, Christophe Boulanger, Baptiste Brun.

« Moya Hernández s’est confectionné cette tenue pour la revêtir lors d’un pèlerinage dédié à saint Lazare, figure extrêmement populaire sur l’île. Célébré avec ferveur la veille du 17 décembre, l’événement rassemble chaque année des dizaines de milliers de fidèles qui, en dévotion au saint, se rendent au sanctuaire de El Rincón, petite localité proche de La Havane, pour demander une grâce ou formuler une prière, ou témoigner de leur reconnaissance pour un vœu exaucé. En l’occurrence, Moya Hernández a effectué son voyage depuis la banlieue de Guantanamo, où il vit, afin de remercier San Lázaro d’avoir accordé une « miraculeuse » guérison au Dr Félix Báez Sarria, médecin cubain qui avait contracté le virus d’Ebola en 2014. Les inscriptions brodées de fil blanc sur le couvre-chef en attestent. Sur la base, on peut lire : « SAN LÁZARO MILAGROSO » (Saint Lazare miraculeux). Puis sur la partie supérieure, de bas en haut et de haut en bas : « DR. FELIX BAEZ SARRIA HENRY REEVE ». Les motivations de Moya Hernández, précises et concrètes, s’ancrent initialement dans une réalité sociale et politique, et son action s’inscrit à l’origine dans les traditions religieuses cubaines. Sa démarche va quant à elle bien au-delà. 

Il est courant d’observer certains dévots porter lors de cet événement quelque vêtement de jute en hommage au saint biblique, mendiant et lépreux vêtu de haillons. Ramón Moya Hernández adhère à cette pratique, sans pour autant se conformer aux usages qui lui sont liés. Plutôt que de simplement revêtir comme eux un pantalon ou une cape de jute, il s’empare du tissu et invente, en l’espace de dix jours seulement, une parure complète composée de neuf pièces, déployant une verve créatrice intense et particulièrement originale. À l’aide d’une toile à sac récupérée, utilisée habituellement pour le transport de denrées comme des pommes de terre, il monte une longue tunique dont il pourvoit encolure et emmanchures d’un surplus de points pour en assurer la solidité. Il réussit à tirer parti de ces fragments de jute, frustes et grossiers, dotant sa longue cape et son châle de fins ajours, de délicats tressages et effilochages. » 

Extrait du texte « Ceci est mon corps » de Lucienne Peiry.

Les Cahiers du Musée national d’art moderne, n° 166, 2024, 151 pages, 97 illustrations. 
Disponible en librairie.

Pour la France et l’Europe, commande ici
Pour la Suisse, commande ici 


RELATED POSTS