Judith Scott au coeur de l’exposition Inextricabilia, à Paris, à la Maison rouge. 20 sculptures y sont réunies grâce à des prêts exceptionnels…


Judith Scott au coeur de l’exposition Inextricabilia, à Paris, à la Maison rouge. 20 sculptures y sont réunies grâce à des prêts exceptionnels…

Quelques œuvres de Judith Scott présentées à la Maison rouge, à Paris. Photo: Marc Domage

Written by Lucienne Peiry in Découverte Le Carnet

21 juillet 2017

La créatrice d’Art Brut n’accorde aucun regard, ou presque, à l’ouvrage en cours de fabrication et procède par gestes lents et répétitifs. La superposition des fils et leur entrelacement, ainsi que les liens et les nœuds qu’elle constitue génèrent un extraordinaire réseau textile, complexe et arachnéen. Les œuvres sont vivement et richement animées par différentes couleurs, matières et épaisseurs des fibres utilisées ; il s’en dégage également une forte tension grâce à la fermeté avec laquelle les fils et les brins sont tirés et tissés. Désordre et sauvagerie se bousculent et président à l’émergence d’une technique inédite et novatrice. Ces sculptures qui ressemblent à des cocons géants multicolores ou rappellent des poupées d’envoûtement sont étroitement liées à l’histoire personnelle de leur auteur.

Contrainte en 1950, alors qu’elle n’a que sept ans, de quitter sa famille et son milieu, la fillette trisomique est placée en institution. Judith Scott est alors séparée de ses parents et de ses deux frères mais surtout de sa sœur jumelle, Joyce, à qui elle est liée par une grande complicité. Bien qu’elles soient privées d’un langage verbal commun (Judith souffre de surdité et de mutité), elles ont tissé des liens étroits, recourant à des moyens de communication d’un autre ordre, principalement sensoriels, et sont inséparables. Pour Judith, cette rupture gémellaire, entraînant la perte d’une partie de son corps, d’une partie de son être, constitue un traumatisme, accentué par la privation de tout lien affectif ainsi que par l’exil et la claustration auxquels elle est contrainte. Grâce à la décision que prend sa sœur Joyce en 1986, les jumelles reprennent contact, après trente-six ans de séparation, et retissent leur relation brutalement interrompue. Les retrouvailles émotionnelles et physiques avec Joyce amènent Judith à développer une expérience intime dans le registre onirique qui lui permet de sublimer l’arrachement dont elle a été victime petite fille. De manière autodidacte, elle réalise plus de deux cents sculptures dont l’une des premières – formée de deux figures identiques face à face et entrelacées par des fils – témoigne de sa conscience et de sa perception de sa gémellité et nous éclaire sur le sens de l’ensemble de son œuvre. (ILL 168)

Dans un rituel qui se répète pendant plus de vingt ans, Judith Scott momifie un être qu’elle enveloppe avec soin. Ce corps volé, ce corps perdu, qui lui fut soustrait, semble être enseveli par elle, métaphoriquement, tel un défunt. Dans le même temps, elle fait éclore des œuvres qui semblent aussi contenir la vie, pareilles à des cocons (ILL 178), tentant ainsi de réparer sa blessure profonde. Son geste – qui donne lieu simultanément à un ensevelissement et à une résurrection – peut donc être envisagé comme un acte aux vertus thérapeutiques.

Extrait du Petit Journal de l’exposition « Inextricabilia. Enchevêtrements magiques », à voir jusqu’au 17 septembre.


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