Inextricabilia – Enchevêtrements magiques


Inextricabilia – Enchevêtrements magiques

Arthur Bispo do Rosario, Manteau de présentation, Musée Bispo do Rosario, Rio de Janeiro.

Written by Lucienne Peiry in Découverte Le Carnet

11 avril 2017

L’exposition de Lucienne Peiry, présentée à la Maison rouge à Paris, a fermé ses portes, après avoir accueilli plus de 20’000 visiteurs et reçu un accueil réjouissant de très nombreux médias (TV 5 Monde, Libération, Le Canard enchaîné, Les Inrockuptibles, France Culture, La Diagonale de l’art, Le Temps, notamment). Emissions et articles réunis ci-dessous sous la rubrique Médias.

Rien ne semble relier a priori le mystérieux Manteau de Bispo do Rosario, une statuette de divination N’kisi du Congo, un reliquaire français du XVIIIet une tête recousue de tissu rose de Louise Bourgeois. Et pourtant…

L’exposition « Inextricabilia »  réunit productions d’Art Brut, objets rituels africains, oeuvres d’art sacré et d’art populaire, d’art moderne et contemporain.

Extrait du texte de Lucienne Peiry dans le catalogue « Inextricabilia », Paris, Flammarion/La Maison rouge, 2017.

« Que les fibres lient ou enferment, attachent ou tissent, que l’étoffe contienne ou cache, les productions textiles choisies ici présentent des parentés évidentes, bien que des milliers de kilomètres, des décennies ou des siècles les séparent, et malgré les cultures et les croyances différentes dont elle émanent. Les similitudes techniques et stylistiques sont nombreuses et les ressemblances formelles foisonnent. Elles sont assorties de profondes affinités spirituelles, déployant des vertus thérapeutiques, prophylactiques, talismaniques, apotropaïques : elles exorcisent, libèrent, réparent, soignent, protègent, conjurent le mal.

Certaines convergences se révèlent particulièrement troublantes. La première pièce créée par Judith Scott, en Californie, par exemple, ressemble étrangement à un faisceau de fibres végétales congolais, et l’un des fétiches de la créatrice américaine s’apparente à une statuette vaudou du Bénin et à une statuette anthropomorphe Nkisi. Les vêtements tressés par l’Ecossais McPhee ressemblent singulièrement à des parures cérémonielles d’Angola. Ces effets de symétrie entre des œuvres d’art sacré ou d’art contemporain, entre des productions populaires et des sculptures ethnographiques ou d’Art Brut semblent exister au-delà des catégories, des époques et des sociétés. Force est de constater que des principes communs se révèlent, malgré l’éloignement, sans que des contacts soient connus et avérés. Ils résultent d’une solidarité ou d’une résonance anthropologique qui échappent aux êtres humains, et à propos desquelles l’ethnologue Claude Lévi-Strauss a précisément affirmé : « les mythes se pensent dans les hommes et à leur insu. […] les mythes se pensent entre eux »[1]. Ainsi, certains codes et certains éléments se propagent de culture en culture dans des créations symboliques. Par ailleurs, les résonances que l’on peut aisément repérer entre les sculptures de Marc Moret et de Peter Buggenhout, entre les personnages de Louise Bourgeois et de Katharina Detzel, entre les compositions des moniales et des chamanes pourraient aussi s’expliquer par le biais d’une considération fondamentale de Tristes Tropiques. Lévi-Strauss postule l’existence d’un vaste répertoire « comme celui des éléments chimiques », formé de combinaisons constitutives des cultures, « où toutes les coutumes réelles ou simplement possibles apparaîtraient groupées en familles, et où nous n’aurions plus qu’à reconnaître celles que les sociétés ont effectivement adoptées »supportFootnotes[2]. Toutefois, il serait excessif et même erroné de chercher, entre les œuvres rassemblées ici, des principes universels qui répondraient à des paradigmes, tant les contextes spécifiques, les fonctions et les enjeux particularisent ces diverses expressions. Ce sont bien plus de multiples confluences, réunies dans une idée de continuité, qu’il importe de voir dans ces créations homologues. A ce titre, comment expliquer qu’elles aient un tel impact sur chacun de nous ? Et comment démêler et interpréter ces entrelacs, ces entortillements, ces laçages et ces nœuds ? »


[1] Claude Lévi-Strauss, Le cru et le cuit, Paris, Plon, 1964, p. 20.

[2] Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques [1955], Paris, Plon, 1993, p. 203.


RELATED POSTS